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Quels sont les prénoms les plus répandus au Pays Basque du XVIIIe siècle ?

Dans un arbre généalogique qui a ses racines au Pays Basque, on a tendance à voir les mêmes prénoms partout. Il faut prendre en compte que les prénoms marqués dans l’État civil ne sont pas nécessairement les prénoms utilisés pour désigner les individus. Souvent, ceux qui sont nés sous le nom de Jean sont appelés Jon ou Mane, ceux nés sous le nom d’Antoine ou Bernard sont appelés Antxon ou Beñat, etc. En construisant son arbre généalogique il faut prendre cela en compte bien sûr, mais les prénoms marqués dans les registres officiels sont souvent le seul vestige disponible de la désignation de nos ancêtres.

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Discoïdale du cimetière de Bidarray

S’étant déjà intéressé aux prénoms fréquents du XIXe avec l’exemple de Macaye dans un autre article on pourra se demander : quels sont les prénoms les plus répandus dans un village typique du Pays Basque au XVIIIème siècle ?

Bidarray, ou Bidarrai en basque, est un village basque de la Basse-Navarre situé à la frontière avec le Labourd et l’Espagne. Nous allons prendre l’exemple des baptêmes des registres paroissiaux de Bidarray qui s’étendent de 1692 à 1792. Au cours de ce siècle, quelle est la répartition des noms masculins et féminins ?

Tout d’abord, il y a environ 2891 baptêmes uniques signalés dans les registres paroissiaux de Bidarray dont 16 où le prénom n’est pas discernable. Il y a également 145 individus nommés Dominique, prénom unisex de l’époque, néanmoins en appliquant la proportion ⅔ déduit des prénoms de Macaye on obtient 97 de sexe féminin et 48 de sexe masculin.
En tout, on va s’intéresser au prénom de 1456 individus de sexe masculin et 1419 individus de sexe féminin.

Dans la tradition du XVIIIe siècle et avant, le prénom de l’enfant baptisé serait pris du parrain ou de la marraine selon le genre. Ainsi les proportions de prénoms de la commune ont tendance à se conserver. Ceci explique aussi pourquoi une famille peut avoir plusieurs enfants de même nom ; dans ces cas on différencie par les différentes variantes formes basques ou des suffixes et surnoms tels : Joannesgazte (« Jean le jeune »), Marihaurra (« Marie l’enfant »), Piarresgorri (« Pierre le rouge/roux »), Joangourdo (« Jean le gros), Ñimiño (« minuscule »), etc…
L’influence de la religion et de noms espagnols est évidente aussi dans les noms de Bidarray, à savoir que la tradition dictait que tout prénom soit pris d’un saint du calendrier. La prononciation basque du -s- espagnol est un son rapproché au -ch- comme dans « chat » qui a fait par exemple Salvador > Xalbador est très répandu dans l’emprunt de prénom en basque.

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Les prénoms masculins présentent beaucoup plus de diversité dans leur répartition que les prénoms féminins, mais suivent visiblement un format très semblable à la répartition du XIXe siècle (cf. Prénoms basques typiques à Macaye). Les 1456 individus se divisent entre 40 groupes de prénoms au total, dont les 4 prénoms les plus répandus représentent les ¾ des individus de sexe masculins.

Voici une analyse des prénoms avec les pourcentages arrondis :

Jean : 506 individus, 35% de la population. Plus d’un tiers des hommes a ce nom comparé au 28% du XIXe siècle (à prendre en compte la croissance de noms composés tels Jean-Baptiste, Jean-Pierre, etc… au profit du simple « Jean »). Dans la vie quotidienne, le nom Jean était rarement utilisé au profit de différents surnoms et variations dont notablement Joannes (bizarrement aussi écrit Jaunnes dans les registres), Manes, Jonso, Johan, Juan, Ganix (moins répandu), Kaiet, etc…. Jon est aussi mentionné dans les registres. Toutes ces variations dérivent de l’antécédent latin de Jean, « Johannes ».
La toponymie locale de Bidarray et d’Ossès nous donne plusieurs indices par rapport au prénom coloquial avec : Joannessenia, Ganichenia, Manechenia, Joangourdo, Joannes-haurra, Joannisto, Joannicot, etc…

Pierre : 364 individus, un quart de la population masculine. Comparé à 20% au XIXe siècle ; prénom hérité du latin encore une fois, et ayant beaucoup de variations dans la vie quotidienne Basque. Y sont inclus les formes béarnaises et les variantes plus typiquement basques : Pele, Pelen, Petam, Petri, Betri, Betiri, Piarres, ainsi que diminutivées : Peillo, Petrisco. Les variantes espagnoles Pedro et Predo furent aussi utilisées.
En toponymie locale : Betirisco, Peillorenia, Piarresgorria, Domperits (issu de Joan Peritz), Pelerenia, Pelenenia, etc…

Dominique : 121 individus, 8% de la population masculine. Proportion identique au XIXe siècle ; prénom issu du latin. Y sont inclus Domingo et Dominich/Dominiche avec la variante espagnole Domingo étant largement le plus répandu selon les registres.
En toponymie locale : Domingocherenia

Martin : 111 individus, 7,5% de la population masculine. Proportion identique au XIXe siècle, prénom issu du latin. À l’oral se prononce comme la variante espagnole « Martin » ainsi que la variante diminutive basque « Matxin ».
En toponymie locale : Martinon, Matchinborda, Maxi, etc.

Raymond : 70 individus, 5% de la population masculine. Prénom quasiment absent au XIXe siècle d’origine germanique. Dans les registres écrit souvent Raimon, Ramon, Erremon et Erramun la variante basque (en basque les noms ne peuvent pas commencer par un -r-, une transformation similaire s’observe dans Rolan > Arrolan). À l’oral le prénom sera toujours Erramun ou son diminutif Erramuntxo plus récent.
En toponymie : Erramunenia, Erramundegui.

Salvat : 69 individus, 5% de la population masculine. Prénom quasiment absent au XIXe siècle issu de la coupure du latin « Salvator » « le sauveur ». Xalbador, diminutif de Salvador (plusieurs fois dans les registres) existe, mais les variantes basques de Chobat, Chabat, Xalbat sont les plus répandues à l’oral.
En toponymie : Chobatehailia, Chobatoa, etc…

Michel : 38 individus, 2,5% de la population masculine. Proportion identique au XIXe siècle, les prénoms Miguel (variante espagnole) et Mixel/Mitxel (variante française) sont présents dans les registres même si la variante basque Mikel, dérivée du latin Michaelus fut utilisé aussi.
En toponymie : Miguelenia.

Bertrand : 19 individus, 1,5% de la population masculine. Proportion identique au XIXe siècle ; prénom d’origine germanique à multiples variantes dont : Beltran (variante espagnole), Beltrand, Betran.

Etienne : 17 individus, 1% de la population masculine. Proportion identique au XIXe siècle ; prénom de même origine qu’Esteben, écrit parfois « Estiene » dans les registres paroissiaux de Bidarray. Seul le nom Esteben y est présent dans la toponymie locale et serait utilisé à l’oral sous forme d’Extebe et d’Ixtebe.

Gaston : 17 individus, 1% de la population masculine. Prénom quasiment absent au XIXe siècle d’origine germanique. La variante basque Caston était utilisée à l’oral ainsi que sa variante diminutive Castontxo.
En toponymie locale : Castorena : Castonchoa

Bernard : 16 individus, 1% de la population masculine. Comparé à 4% au XIXe siècle. À l’oral on utilisait plutôt Beñat et Bernat variantes basque et béarnaise.
En toponymie locale : Bernatenea
Antoine : 15, 1% de la population masculine. Les registres écrivaient Anthon et Anton (issu du latin), parfois diminutivé à Antxon.
Guillaume : 14, variante béarnaise Guillen, 1% de la population masculine.
Sebastien : 11 individus, serait prononcé avec le -s- basque.
Sampson : 10 individus. Écrit aussi Sanson dans les registres paroissiaux, Chancho fut la variante basque la plus fréquente ; il existe aussi Chanchin.
En toponymie locale : Chanchotenia
Charles : 6 individus, des formes de la variante espagnole « Carlos » furent utilisées
En toponymie locale : Carloix
Gracian/Gratian : 6 individus. Prénom bien rare dans les registres paroissiaux, variante basque Gartze/Gartzene seraient utilisées.

Composés de Jean : 6 individus.
Les composés deviennent bien plus fréquents au XIXe siècle (voir article sur les prénoms de Macaye). On retrouve : Jean-Charles, Jean-Baptiste, Jean-Pierre, Jean-Joseph, Jean-Jacques-Auguste, tous des noms qui peuvent être reliés au parrain présent au baptême.

Arnaud : 4 individus. Comparé à 1,5% au XIXe. Variantes quotidiennes incluent Ernaut et Arnalt (variantes béarnaises), et Eñaut (variante basque).
En toponymie locale : Perenaut, Eñautenia, Dornaletche
François : 4 individus. Pas de preuves dans les registres de l’utilisation de Francisco (variante espagnole) même si Frantxoa, Pantxo, et Patxi existent comme variantes répandues au Pays Basque. Voir Françoise ci-dessous.
Thomas : 4 individus. La variante espagnol Tomas est utilisée à l’oral au pays basque avec -s- basque.
Ferdinand : 3 individus. La variante basque utilisée est Ferrando (diminutivée parfois à Ferranddo), devenu patronyme à Bidarray.
Louis : 3 individus. Aucune preuve dans les registres des variantes utilisées à Bidarray, mais on peut supposer l’utilisation de la variante espagnole Luis prononcé avec -s- basque.
Christobal : 2 individus. La variante espagnole est utilisée plutôt que le Christophe français, Kostobare serait utilisé à l’oral.
Garcia : 2 individus. Le seul prénom d’origine véritablement basque, Gassie est une variante gasconne du prénom qui ne semble pas être utilisée à Bidarray.
Joseph  : 2 individus. Variante basque moderne est Josu.
Mathieu : 2 individus. Le Mateo espagnol serait utilisé
Tristant : 2 individus, idem à l’oral avec -s- basque.
En toponymie locale : Tristantenia.

1 individu :
Baptiste : 4% de la population au XIXe siècle, Batixta était utilisé comme variante basque à l’oral.
Gregoire : On peut supposer l’utilisation de la variante espagnole Gregorio, même si la variante basque Gergori serait utilisée aussi.
Henri : Aucune variante signalée dans les registres mais Endika et Henrike seraient utilisés.

Jacques : 1,5% au XIXe siècle, aujourd’hui Jakex est utilisé à l’orale bien qu’aucune variante nous est signalée dans les registres paroissiaux.
Jerome : la variante espagnole Jeronimo était utilisé.
Laurent : la variante basque Laurens/Laurench était utilisé.
En toponymie locale : Laurenchenia
Marin : peut-être pris de la maison Marinella de Bidarray, serait Marino à l’orale.
Nicolas : prononcé avec -s- basque, la variante Mikolas existe aussi à l’orale
En toponymie locale : Nicolassenia/Mikolassenia
Pascal : la variante espagnole est Pascoal prononcé avec -s- basque, variante basque serait Paxkal ou Paxkoal.
Paul : prénom pris du français, Pablo est la variante espagnole.
Valantin : la variante basque Balantin serait utilisée

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Comme au XIXe siècle, les noms féminins présentent beaucoup moins de diversité, déjà que le prénom Marie représente quasiment la moitié de la population féminine et que plus de 97% des femmes de Bidarray se divisent entre 5 prénoms seulement !

Marie : 659 individus, 46% de la population féminine. Prénom le plus répandu, quasiment la moitié des femmes de Bidarray comparé à 36% au XIXe siècle à Macaye (s’élevant à 45,9% si on compte les composées, Marianne, Marie Louise, etc…). D’origine latine et répandue par le christianisme, elle a pris plusieurs formes au Pays Basque, dont notamment Maria (variante espagnole), Mari (présente dans la mythologie basque et avec prononciation basque), Mayie (forme diminutivé), Maña, Marthia (version française : Marthe, adaptée comme alternative à Marie), etc….
En toponymie : Marthiarena, Marihaurrarenia, Mañarena, Maripouchounea

Jeanne : 250 individus, 17,5% de la population féminine. Version féminin de Jean comparée au 11% du XIXe siècle. À l’orale ce serait Joanna (variante basque) et parfois Gaña son diminutif, Juana (variante espagnole) et Janna (adaptation du français), il existe aussi dans les registres le surnom « Nana » pour Jeanne.

Gracianne : 188 individus, 13% de la population. Comparé à 9% au XIXe siècle, le prénom est beaucoup plus répandu que sa version masculine Gratian. À l’oral on aurait pris Graxina (« Gracina » dans les registres paroissiaux), Graxuxa (diminutif), Graxi, Gratiana (variante espagnole de Gratianne), Graziana, Gexina, etc…

Catherine : 105 individus, 10,5% de la population féminine. Proportion identique au XIXe siècle ; prénom issu du latin. Toute variante basque est issu de la version antécédente latine « Catalina », qui a fait Kattalin, Katixa, et Kattina très répandues. Katrina issue de « Catherine » existe aussi.

Dominique : 133 individus, 9,5% de la population féminine. Comparée à 9% au XIXe siècle, version féminine du prénom unisexe Dominique d’origine latine. Y sont inclus Dominica (du latin Dominica), Dominixe et Dominx (versions basques diminutivées).

Françoise : 9 individus. Quasiment absent au XIXe siècle, issu du latin Franciscus. Des 9 citations, 4 ont pris la forme Francisca qui serait adaptée avec prononciation basque. Les variantes basques Pantxa et Pantxika furent aussi utilisées.
Izabelle : 7 individus, variante espagnole avec -s- basque Isabel serait utilisée
Elizabeth : 5 individus, variante basque Elixabete serait utilisée.
Marguerite : 5 individus, variante basque Margarita serait utilisée (attestée par les registres paroissiaux).
Julienne : 4 individus, variante basque Julene serait utilisée.
Agnès : 2 individus, Agneze dans les registres paroissiaux même si Añes avec -s- basque serait utilisé aussi.
Estebenie : 2 individus. Version féminine de « Esteben » bizarrement absent des registres de Bidarray, qui nous indiquent Extebenia comme variante basque.
Magdalaine : 2 individus, variante espagnole Magdalena et variante basque Maialen seraient utilisées.

1 individu :
Jererime : version féminine de Jérôme, Jeronima comme variante espagnole serait utilisée.
Marrine : version féminine de Marin, qui serait Mariñe en basque.
Sabine : variante espagnole Sabina ou Sabiñe avec -s- basque seraient utilisée, si on n’aurait pas adapté Saubadine (version féminine de Salvat).


Sources 


Auteur : Jean-Max Fawzi (USA)
Projet Babel : http://projetbabel.org/etudes_basques/